Crash (1996) de David Cronenberg

Publié le par homo cinephilis



La sortie de ce film provoqua une véritable polémique, notamment à Cannes où il reçut le prix spécial du jury : Pure provocation pour certains, froideur incarnée pour d'autres, le film de David Cronenberg a beaucoup été critiqué. Mais qu'en est-il vraiment ?

Pitch : James Ballard et sa femme Catherine ont une vie sexuelle libre mais apparemment assez vaine. Suite à un grave accident de voiture avec le Dr Helen Remington, Ballard se lance dans l'exploration de rapports étranges entre danger, sexe et mort. A noter que ce scénario est l'adaptation d'un roman de J.G. Ballard, auteur britannique décédé cette année à l'âge de 78 ans.

Le film traite donc de la fascination dont va faire preuve Ballard pour les accidents de voiture, les cicatrices et marques qu'ils peuvent laisser, et tout ce que ces carcasses de métal accidentés peuvent représenter au delà des simples conséquences physiques. C'est son propre accident et sa rencontre avec Vaughan (génialement interprété par Elias Koteas), personnage dont la passion est de reconstituer les accidents de voiture mythiques (notamment celui de James Dean, une des scènes les plus marquantes de Crash à mon goût) qui vont entraîner Ballard dans cette obsession. Alors oui le film est froid, il l'est car il parle de la mort, de la fascination que les personnages ont pour celle-ci. Il met également en évidence un lien entre cette mort et le sexe, tous ces personnages ayant une sexualité indubitablement lié au sentiment de danger et de mort imminente. On se demande parfois même s'ils ne sont pas déjà morts à l'intérieur, ne représentant la plupart du temps que des corps désincarnés, coquilles vides errantes en quête d'un plaisir futile et vain.

On peut donc concevoir Crash comme une oeuvre nihiliste, mais à l'instar de la plupart de ses films, Cronenberg nous propose différents niveaux de lecture, et rien ne nous empêche d'autres interprétations. On pourrait voir dans cette histoire celle de l'adaptation de l'homme à son monde de plus en plus gouverné par la technologie, par le mécanique, et qui entraîne par la même une manière nouvelle de penser le corps. C'est finalement le mélange de chair et de métal contenu dans les carcasses accidentées qui va fasciner les différents protagonistes, comme si ce mélange était pour eux la nouvelle et seule "recette" du plaisir et de la jouissance. La démarche a priori vaine des protagonistes pourrait être également considérée comme une quête vers une nouvelle sexualité. Comme Cronenberg l'explique dans l'interview (que je mettrai en lien à la fin de l'article), le sexe était avant opposé à la mort puisqu'il était le seul moyen de pérenniser la vie, par le biais de la reproduction. Mais à l'heure actuelle, on sait que la reproduction peut avoir lieu sans sexe, et surtout que le sexe n'a plus pour vocation principale la reproduction. Les gens sont donc d'autant plus libres de penser eux-mêmes leur sexualité, de l'inventer, de lui donner sens, et ce même si elle est a rapprocher à la mort. Ce qui nous paraissait au début une marque de nihilisme et de recherche de la mort, semblerait en même temps être une quête d'identité, une liberté laissée dans le choix de sa sexualité que prônerait Cronenberg. On peut imaginer que d'autres pistes d'interprétation sont encore ouvertes et qu'il est du pouvoir des spectateurs de les emprunter.

Un autre point que Cronenberg explicite et qui à mon avis mérite d'être abordé est la vision qu'il a de la pornographie : Son film fut "accusé" de pornographie à sa sortie, le terme "accusé" n'étant pas anodin, supposant que le caractère pornographique serait nécessairement un défaut pour un film. Il s'en défend, ou du moins rapelle ce qu'étymologiquement le terme signifiait : le sens premier de pornographie est d'écrire sur les prostituées, pour provoquer une excitation sexuelle. Il affirme que son film n'a pas été principalement fait pour susciter un tel désir chez son public, et donc qu'en ce sens il n'est pas un film pornographique. Les mêmes accusations avaient fusées lors de la sortie du film Ken Park de Larry Clark, et ce dernier s'en était défendu de la même manière.

Il me semble qu'on peut considérer Crash comme un très bon film, principalement pour les nombreux niveaux de lectures qu'il nous propose, l'originalité de son sujet, de l'audace qu'il a fallu pour le traiter d'une manière si frontale et honnête, loin des films où la bonne pensée et la censure sont les maîtres mots.



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